samedi 11 juillet 2015

Le mythe du plan séquence

Ganesha est constitué d'un plan séquence. C'est-à-dire une continuité filmée sans interruption. Une technique qui fascine autant qu'elle effraie.

« Tu n'as jamais rien fait de plus dur ! » Yves Hutter -la voix de l'homme-éléphant- me l'a dit en riant. Sans rire. Bizarrement, je me suis rendu compte qu'il avait effectivement raison. On n'y a pas pensé une seule seconde, mais Ganesha constitue sans doute ce que l'on aura lancé de plus complexe, de plus grisant également. Sans que ce défi représenté par un long « plan séquence à tiroir » ait été la vocation première. Suivez mon raisonnement, comme dirait l'autre.

Beaucoup de films recouvrent des complexités spécifiques, des scènes clés techniquement délicates. Néanmoins se donner les moyens de surmonter ces petits Everest cinématographiques ne doivent jamais prendre le pas sur l'objet même de son propos. C'est en tout cas ce que nous enseigne l'histoire des bons films.


JOLIE BAPTEME
Telle ou telle séquence majeure de tel ou tel chef d’œuvre n'a que très rarement été faite pour épater la galerie. Mais pour son rendu et sa nécessité à travers l'histoire. Tenez, lisez vous-mêmes : « Dans Le Monde de Nemo, toute la presse spécialisée nous a parlé du rendu technique de l'eau. Jamais jusqu'ici, les vagues, les courants, la texture de l'eau n'ont été rendus aussi réalistes que dans notre film. C'était un défi pour nous, bien sûr. Mais nous ne l'avons pas fait pour ça. Nous avions un scénario sous les océans. Il nous fallait donc représenter l'océan de manière crédible pour rendre notre histoire crédible », dixit Brad Bird, grand manitou des studios Pixar.

Tout est résumé et quasiment dit. Notre Ganesha est conçu comme un plan séquence un peu particulier. Mais c'est le texte de Xavier Mauméjean qui indiquait cette direction. Et non le challenge ô combien stressant de réaliser près de 20 minutes de plans séquences en condition amateur. Surtout qu'à proprement parler, il s'agit de mon premier... Surtout qu'à proprement parler, on aime trop le cinéma pour ignorer en quoi ce procédé est à la fois un roi et un fossoyeur. Jolie baptême...

Le plan séquence constitue le paradoxe ultime du 7e art. Il est le masterpiece de sa grammaire tout en niant le fondamental même d'un film et ce qui le sépare dans l'absolu du théâtre: la contraction du temps et le montage. Si le plan séquence produit -s'il est réussi- un impact aussi important sur le spectateur, c'est qu'il donne l'impression de temps réel. Le public suit l'action sans omission, multipliant son immersion, son attente de quelque chose. Orson Welles avait compris cette logique avant tout le monde. Il suffit de voir son ouverture si juste et si incroyable de la Soif du mal. Avant même de partir avec Ganesha, il m'arrivait souvent de la regarder. C'est comme un morceau de musique classique. Tout se recoupe, sans que j'en sois pourtant rassuré.

Le plan séquence c'est le cinéma en condensé. Il nie le montage (quoique... on peut en disserter) mais doit associer tous les départements de tournage aux instants clés dans une seule et même chorégraphie. Pour qu'il fonctionne, comédiens, cadreurs, réalisateur, décorateur, machinistes, directrice de la photographie (bonjour Noémie Mancia)... doivent être synchrones. En symbiose, même, si on osait le terme...

Forcément, une voix se lèvera pour opposer : « C'est aussi le cas pour toute autre façon de tourner ! » Oui... mais non. Quand on joue sur la coupe, le montage donc, on réinvente le film en post-production. C'est même assez exaltant. Personnellement, j'ai toujours tourné pour le montage. Dans le cadre d'un plan séquence -pour rappel une continuité filmée sans coupure aucune (en théorie...)- le film sera celui qui a été tourné. Ce qui paradoxalement (encore) accroît de façon exponentielle le temps de production du film. La préparation (et la bonne équipe) est la clé.

DES BRIQUES
Jamais nous n'aurons répété autant des scènes de films. Auparavant, j'y étais même assez opposé. Dans notre nouvelle aventure, nous n'avons pas le choix. Il faut que chacun trouve sa place au sein du dispositif (quel moche mot).

Nous avons donc opté par la méthode dite des briques. Un luxe que pour une fois le statut amateur de l'entreprise nous permet. Comme toujours, il faut être simple, et mieux vaut commencer par le début. Première brique : raconter le film pour que chacun ait une vision globale, même imparfaite, de l'entreprise et, surtout, la comprenne. Deuxième brique : travailler en priorité sur les pivots de la séquence, ici les quelques passages dialogués. Troisième brique : les transitions entre les scènes. Quatrième brique : on ajoute la caméra, ses déplacements. Cinquième brique : le jeu dans le décor. Etc.

A fur et à mesure, les problèmes surgissent. Techniques (bonjour Julien Zck !), artistiques, logistiques... Et, dans l'idéal, nous tentons de les résoudre dans l'ordre... quand ils n'arrivent pas en escadrille. Mais il nous reste deux mois pour rendre possible notre plan séquence. A chacun de mes films, Yves Hutter, encore lui, a pris l'habitude de finir tous ses messages par « ça va bien se passer ». Qui suis-je pour le remettre en question ? N'est-il pas le dieu Ganesh ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire